KRAS-AIT: Adresse à la conférence internationaliste anti-guerre de Prague

Chers camarades!

En tant qu’héritiers de la tradition anarchiste antimilitariste du Manifeste de 1915, nous, membres de la KRAS-AIT, souhaitons la bienvenue aux participants à la conférence internationale, qui vont se réunir pour s’élever contre la guerre capitaliste et la soi-disant « paix » capitaliste et pour dénoncer les soi-disant gauchistes et pseudo-anarchistes qui prennent parti dans les guerres capitalistes. Nous espérons que ce forum constituera une étape importante dans l’établissement d’une interaction pratique d’en bas et au-delà de toutes les frontières organisationnelles entre toutes les forces révolutionnaires sociales authentiquement anti-guerre et antimilitaristes.

Malheureusement, la situation en Russie et les difficultés de communication avec l’extérieur ne nous donnent pas la possibilité de participer directement à la conférence. Mais nous sommes de tout cœur avec vous. Nous vous envoyons une déclaration de notre position sur la question de la guerre et vous demandons de la faire connaître aux participants à la conférence.

Secrétariat international de la KRAS-AIT

Sur les causes de la guerre dans le capitalisme moderne

Avant de parler du rôle des phénomènes de crise dans l’émergence des guerres modernes, il nous semble important de noter que les guerres découlent en fait, premièrement, de la nature du mécanisme de gouvernance – « L’ÉTAT » – en tant que tel et, deuxièmement, des contradictions diverses et multidimensionnelles du capitalisme moderne en tant que système mondial. La plupart des analyses (y compris celles de la gauche) ne sont pas à la hauteur et n’approfondissent pas suffisamment les causes, car elles ne comprennent généralement pas pleinement cette complexité.

Ces contradictions apparaissent à différents niveaux, à savoir mondial, régional, interétatique et intraétatique, avec la volonté de concurrence, de domination, d’hégémonie et d’expansion constituant la nature même du capitalisme et le cadre de son existence.

Lorsque l’on parle de la guerre en Ukraine, par exemple, il faut tout d’abord prendre en compte le cadre du système mondial. Il s’agit de la formation progressive de deux blocs politico-militaires concurrents, l’un en déclin autour des États-Unis et l’autre en expansion autour de la Chine. Il est clair que leur composition finale n’a pas encore été entièrement définie – cela pourrait prendre quelques décennies. Il est également évident que des contradictions et des intérêts divergents subsistent entre les États qui composent ces blocs. Cette situation peut être comparée aux processus de formation de l’Entente et du bloc allemand avant la Première Guerre mondiale. Chacun s’efforce de faire entrer de nouveaux États dans sa sphère d’influence et d’étendre celle-ci.

En outre, d’un point de vue régional, il y a une lutte en cours entre ce que l’on appelle le bloc occidental et la Russie, tous deux prétendant à l’hégémonie régionale dans l’espace post-soviétique, pour le contrôle et l’influence dans la région de l’ex-Union soviétique. Il s’agit d’une question de domination, tant sur le plan économique et politique, que militaire, etc. Il existe également des contradictions économiques entre l’Europe et la Russie, par exemple dans le domaine de la stratégie énergétique et de la lutte pour le marché de l’énergie.

Au niveau interétatique, la guerre en Ukraine découle directement de la lutte entre les classes dirigeantes et leurs États qui ont émergé sur le territoire de l’ancienne Union soviétique. Il s’agit d’une lutte pour la redistribution d’un espace, de ressources, etc. déjà partagés.

Enfin, nous revenons au niveau intraétatique. Nous en arrivons à la question du rôle de la crise dans le déclenchement de la guerre. Bien sûr, cette crise est globale et systémique. C’est l’impasse de l’État et du système capitaliste lui-même. Cette crise n’a pas commencé aujourd’hui ni hier. Mais nous vivons aujourd’hui son intensification sous forme d’avalanche presque partout dans le monde. La crise touche tous les domaines de la vie et s’accompagne d’une fascisation rampante.

L’économie vacille, pour ainsi dire, et la consommation publique n’est soutenue que par des bulles de crédit et ce que l’on appelle le « keynésianisme militaire ». Ce dernier exige une augmentation constante des dépenses militaires et de la production d’armes, et la course aux armements contribue inévitablement aux guerres. Sur le plan politique, les anciennes méthodes de gouvernement appelées démocratie ne fonctionnent plus, du moins plus de la même manière. Il en résulte une crise des anciennes élites, une fascisation rampante et l’entrée de groupes rivaux des classes dirigeantes dans l’arène politique sous la forme d’un populisme de droite. Dans presque tous les pays, il y a une crise de confiance dans les autorités et une crise de légitimité.

Dans de telles situations, les États ont toujours eu recours à la guerre. Tout d’abord, ils doivent faire en sorte de détourner le mécontentement croissant de la population en l’orientant vers un ennemi extérieur. La consolidation mobilisatrice de la société contre un ennemi extérieur a pour but de renforcer la soi-disant « unité nationale » et l’illusion des « intérêts communs des différentes classes ». Cela signifie qu’il faut empêcher la croissance potentielle de la résistance de classe. Deuxièmement, l’issue victorieuse de la guerre doit renforcer la confiance de la population dans le gouvernement et lui donner une nouvelle légitimité aux yeux des masses. En outre, sur le plan économique, la guerre permet d’accélérer le processus de renouvellement du capital fixe, et la reconstruction d’après-guerre promet de nouveaux profits énormes pour le capital.

Une clarification s’impose ici, car on dit souvent que la guerre n’est pas rentable pour certains groupes influents du grand capital parce qu’elle menace leurs relations et leurs intérêts mondiaux. C’est ce que l’on entend à propos des oligarques russes, par exemple. D’où l’idée illusoire de la divergence des intérêts économiques et politiques des classes dirigeantes, des contradictions entre l’État et le capital.

Nous tenons à souligner qu’il s’agit d’une illusion. L’État capitaliste n’a jamais exprimé les intérêts de chaque capitaliste ou même d’un groupe de capitalistes. L’État est un représentant concentré des intérêts de l’ensemble de la classe capitaliste, ce qui n’exclut en rien la concurrence et les conflits d’intérêts au sein de la classe capitaliste. Un État capitaliste est certes capable d’opprimer certains groupes de la classe capitaliste, mais cela ne le rend pas non-capitaliste ou, encore moins, anticapitaliste. En outre, comme le montre la guerre actuelle en Ukraine, tout n’est pas si simple dans la position de groupes prétendument opposés du grand capital. Le commerce de nombreux produits d’exportation et de matières premières parmi les plus importants de la Russie non seulement ne diminue pas, mais il est même en augmentation dans certains cas. Et très souvent, les mêmes soi-disant oligarques russes jouent sur les deux tableaux en même temps.

Mais revenons à la question de la crise. En général, il faut dire que l’aggravation et l’approfondissement des crises conduisent à une augmentation de la fréquence et de la gravité des guerres. Dans ce cas, l’une des motivations des États et des classes dirigeantes est la tentative, si elle réussit, de sortir de l’impasse de la crise que les détenteurs du pouvoir ne peuvent pas résoudre par des moyens dits pacifiques.

Cependant, le capitalisme est de plus en plus un système de chaos généralisé. Il se caractérise par des actions non coordonnées, chaotiques et égoïstes de la part des acteurs, de sorte que le résultat du développement ne correspond généralement pas à leurs souhaits et à leurs plans. En philosophie, on parle d’« anti-finalité ». Par conséquent, non seulement la guerre ne conduit pas à une sortie de crise, mais au contraire, les difficultés causées par la guerre créent une nouvelle crise, encore plus profonde. C’est exactement ce qui s’est passé, par exemple, pendant la Première Guerre mondiale. Et c’est précisément cette crise, créée ou exacerbée par la guerre, qui contribue au développement de la lutte des classes et peut un jour contribuer à la transformation de la guerre en révolution sociale, c’est-à-dire en une sortie révolutionnaire de la guerre.

Sur la lutte contre

Tout d’abord, il faut dire que c’est précisément et uniquement la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière au sens le plus large du terme qui peut conduire à une révolution sociale victorieuse et donc à l’abolition du système social qui produit les guerres. Quoi qu’il en soit, tant que le capital et l’État existeront, les guerres seront fondamentalement inévitables.

Bien sûr, nous souhaitons tous que cette guerre actuelle soit la dernière et qu’elle débouche sur une révolution sociale ou, comme le disaient les vieux anarchistes, sur le « grand soir ». Nous n’allons pas jouer les prophètes ici, mais compte tenu de la situation actuelle de la société, nous en sommes malheureusement encore loin. Il y a de nombreuses raisons à cet état de la société dans le capitalisme moderne. L’atomisation croissante, l’aliénation et la perte de solidarité des gens, le déclin de la conscience de classe et de la culture de classe ou les actions manipulatrices des classes dirigeantes, ainsi que la crise des idées sur la possibilité d’un développement alternatif et la dégradation complète et l’embourgeoisement de la gauche établie ou pseudo-« anarchiste », et bien d’autres facteurs et phénomènes, jouent un rôle à cet égard.

Bien sûr, la question se pose également de savoir pourquoi les travailleurs salariés d’aujourd’hui sont prêts à endurer les coupes sombres liées à la guerre. Tout d’abord, en Russie et en Ukraine, par exemple, cette passivité s’explique par le déclin de l’ampleur des luttes de classe et des protestations sociales dans ces pays au cours des dernières décennies, ce qui est une conséquence du déclin social, en particulier à la périphérie du capitalisme mondial.

Le prolétariat ici n’a ni l’expérience ni l’organisation pour une résistance aussi grande que celle qu’exigerait une lutte de masse contre la guerre. Le « pompage » nationaliste [et la propagande de guerre] joue également un rôle, auquel une grande partie de la population est malheureusement exposée dans la situation de construction des nations post-soviétiques. En outre, dans la phase initiale des guerres (tant qu’elles ne s’accompagnent pas de catastrophes immédiates), la situation de certains travailleurs peut même s’améliorer dans un premier temps. L’expansion de la production d’armes crée de nouveaux emplois. Et dans les régions défavorisées, la possibilité de s’enrôler dans l’armée contre de l’argent est souvent presque la seule source de revenus.

Bien entendu, lorsque la guerre s’éternise sans perspective apparente de fin des hostilités, que l’armée est totalement mobilisée et que les difficultés matérielles deviennent insupportables, l’état d’esprit de la société commence à changer. Il y a des protestations spontanées, des troubles, des grèves – et la révolution est à portée de main. C’est exactement ce qui s’est passé lors de la Première Guerre mondiale. Il est difficile de dire dans quelle mesure cela sera possible en Russie et en Ukraine à l’avenir. En Occident, qui n’a jusqu’à présent été qu’indirectement impliqué dans cette guerre, une telle évolution est encore plus problématique aujourd’hui. Des luttes de classe ont lieu, mais il est peu probable que la classe ouvrière soit actuellement prête pour, par exemple, une grève générale contre la guerre. Et lorsque des manifestations de masse contre les guerres ont lieu, elles sont souvent organisées par des forces qui soutiennent l’un des belligérants. C’est malheureusement le cas des manifestations contre la guerre au Moyen-Orient. Il n’y a presque pas ou très peu de manifestations pour demander, par exemple, de cesser de soutenir la guerre en Ukraine et d’encourager les parties à un cessez-le-feu.

Mais même si nous affirmons en principe que seule la lutte de masse des travailleurs peut mettre fin aux guerres, cela signifie-t-il qu’il suffit de se contenter de cette conclusion et de ne rien faire contre la guerre actuelle ? Nous sommes convaincus que non. Ce n’est pas le cas.

Tout d’abord, il y a une différence entre éliminer fondamentalement les causes de la guerre et mettre fin à une guerre spécifique. Oui, l’affirmation selon laquelle la paix capitaliste est, à proprement parler, une forme de guerre est correcte. Mais dans ce cas, il ne s’agit pas de « paix », mais de mettre fin à un massacre concret en cours, à l’assassinat en masse d’êtres humains. Il serait cruel et irresponsable envers les centaines de milliers de prolétaires qui meurent de se contenter de se laver les mains et de dire : « Nous ne pouvons rien faire pour l’instant. » La vie des prolétaires compte !

Deuxièmement, l’ampleur de la lutte des classes et de la conscience de classe ne tombent pas du ciel. Leur création n’est pas un processus automatique. La lutte a sa propre logique et sa propre dynamique. Les conflits de classe et les troubles sociaux concrets et quotidiens peuvent devenir l’école et la gymnastique d’une future révolution sociale s’ils se développent sur la base de l’auto-organisation et de l’autonomie de classe et vont de pair avec une solidarité accrue, la formation de structures de lutte appropriées et le développement d’une conscience de classe et révolutionnaire.

Bien sûr, en tant qu’anarcho-syndicalistes, nous pensons avant tout à la lutte de classe économique. Mais l’antimilitarisme peut aussi jouer un rôle d’école et de gymnastique de lutte. Il est juste très important de ne pas confondre la lutte antimilitariste proprement dite avec le soutien à l’une ou l’autre des parties belligérantes !

Que peuvent faire les révolutionnaires sociaux internationalistes maintenant, même s’il n’y a pas de perspective de révolution imminente ?

La stratégie des révolutionnaires sociaux peut se décliner en quatre volets :

a) « Ne pas hurler avec les loups dominants » : c’est-à-dire pas de soutien aux États, à la guerre, à tout nationalisme (et à la « libération nationale ») et à toute « unité de la nation » ainsi qu’à toute « collaboration de classe ». Il faut expliquer les méfaits du patriotisme, de la patrie et de l’idée de la protéger. Ne pas s’engager soi-même dans l’armée et, si possible, dissuader les autres de le faire. Ne pas participer à des actions patriotiques officielles. Donc, une position « Sans moi » / « Sans nous ».

b) Expliquer les vraies raisons de la guerre et leur conditionnalité de classe (« il est révolutionnaire de dire la vérité ») : nous devons expliquer dans l’intérêt de qui la guerre est menée et qui en profite. Nous devons expliquer que les travailleurs ne profitent pas de la guerre, que nous ne nous soucions pas de la langue parlée par le maître et le patron et de l’endroit où ils vivent. Cette guerre est créée par l’État et le système capitaliste et il faut comprendre qu’on ne peut pas se débarrasser de la guerre sans les combattre. Par conséquent : guerre à la guerre et au système de guerre !

c) Des activités pratiques contre la guerre concrète (aussi petites soient-elles aujourd’hui !) : propagande, sabotage de la guerre et de la mobilisation dans l’armée, solidarité pratique avec les déserteurs, les réfractaires à la guerre, avec la population, etc. Dans les pays qui ne sont pas directement impliqués dans la guerre, outre le soutien aux déserteurs, cela peut inclure des mesures visant à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils cessent de soutenir cette guerre ici et, au contraire, à encourager les parties belligérantes à instaurer un cessez-le-feu. De plus, comme les internationalistes anarchistes en Ukraine nous l’ont dit à plusieurs reprises, il serait important que des pressions soient exercées sur l’État ukrainien pour qu’il ouvre ses frontières et permette à tous ceux qui ne veulent pas se battre de quitter le pays !

d) La participation (strictement avec sa propre position) aux conflits de classe concrets, aux luttes sociales, aux éventuelles protestations, aux révoltes de la faim, etc. Si de tels troubles et soulèvements se produisent, on peut également compter sur l’option internationaliste de l’époque de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire sur une fin révolutionnaire de la guerre.

  • Traduction française : Les Amis de la Guerre de Classe